L’importance du rôle socio-affectif des parents perroquets sur le développement de leurs oisillons : de l’anthropomorphisme, vraiment?
L’importance du rôle socio-affectif des parents perroquets sur le développement neurocognitif, relationnel, et physiologique de leurs oisillons : de l’anthropomorphisme, vraiment?
Depuis que j'ai commencé à m'intéresser à l'étude des comportements des perroquets, j'ai sincèrement l'impression d'avoir mis le pied dans un univers parallèle.
Ma formation à moi a débutée chez les êtres humains, en technique de Soins infirmiers au collégial, puis en Sciences infirmières à l'université. Ce que plusieurs personnes ne semblent pas réaliser, c'est la dette énorme que nous devons au règne animal.
Aujourd'hui, personne n'oserait remettre en question l'importance du contact d'un nouveau-né avec ses parents, ni l'impact destructeur que pourrait avoir un parent incapable de répondre adéquatement aux besoins de sécurité et d'affection de son enfant sur son développement neurocognitif, relationnel, et physiologique.
Mais saviez-vous qu'il fut une époque, dans la première moitié des années 1900, où on s'imaginait qu'un enfant humain n'avait besoin que d'être nourrit et soigné (en cas de maladie), pendant +/- les 3 premières années de sa vie?
Que cette croyance était utilisée, entre autres, pour justifier les pratiques de certains orphelinats, qui laissaient les enfants dans leur lit sans stimulation ni contact affectif, se contentant uniquement de les nourrir et de les laisser grandir par eux-mêmes, chacun isolé dans leur propre lit à barreaux.
Celle-ci justifiait également une approche éducative de l'enfant basée principalement sur l'apprentissage et la discipline, où l'amour n'avait que peu d'influence.
Si l'enfant pleurait, mieux valait alors ignorer ses pleurs et le laisser se consoler par lui-même, pour éviter de risquer de le "gâter". On encourageait le parent à se montrer surtout autoritaire, à ne pas embrasser l'enfant, etc.
Puis, vint le psychologue Harry Harlow, qui aura réussi à démontrer, hors de tout doute, l'importance du lien d'attachement parental sur le développement des habiletés sociales et neurocognitives de l'enfant.
C'est grâce à ses expériences, d'une cruauté et d'un manque d'éthique totalement horrible, que l'humain a fini par prendre conscience de l'impact destructeur de la privation sensorielle et affective sur les petits de sa propre espèce.
C'est en torturant des bébés macaques, et en montrant à l'humanité ce que la privation parentale causait comme dommages permanents sur l'animal, que nous avons fini par voir tout le tort que nous nous faisions à nous-mêmes.
Ces vidéos, tous les élèves de ma classe ont dû les écouter dans le contexte de nos cours de Psychogénèse du développement.
J'avais à l'époque environ 17 ou 18 ans, et je ne les ai jamais oubliés.
https://youtu.be/znBa3lap5jQ
Jusqu'en 1958, on croyait que la raison pour laquelle l'enfant humain s'attachait spécifiquement à sa mère était issue de l'allaitement. La mère n'avait qu'un rôle fondamental, celui de nourricière.
La faim, et le besoin de survie primaire, était ce qui poussait le bébé à aller vers elle.
Harlow a su démontrer, entre autres, qu'entre la chaleur, douceur, et le réconfort d'une "maman de chiffon" ne lui offrant aucune nourriture, mais lui permettant de s'agripper à elle et d'aller chercher un réconfort physique se rapprochant davantage de celui d'un parent de son espèce, et la "mère de métal" nourricière, mais au contact froid et rigide...
Le petit macaque passera tout son temps auprès de la mère de chiffon, généralement agrippé à celle-ci, acceptant de la quitter que très brièvement uniquement lorsqu'il devient affamé.
Ses instincts le poussent à s'attacher à ce qui lui procure le plus de réconfort et de sécurité, et non à ce qui lui permet de s'alimenter.
Chez les animaux possédant une forte intelligence relationnelle, le premier besoin qu'un nouveau-né cherchera à combler, est celui de la sécurité affective, du contact physique avec le parent, et de la chaleur.
Pouvez-vous comprendre à quel point je peux me sentir totalement désorientée dans un monde où on cherche alors à prétendre que quiconque parle de syndrome de privation parentale ou sensorielle chez le perroquet élevé à la main (EAM) ferait de l’anthropomorphisme ?!
On enseigne les bases des théories de l'attachement aux étudiants en Soins infirmiers et Sciences infirmières en se basant sur l'étude de l'impact de la privation parentale chez les macaques...
Puis, en arrivant dans le domaine de l'étude des comportements des perroquets, on se fait répondre que de tels principes ne peuvent s'appliquer qu'à l'homme.
Je suis navrée, mais la jeune femme de 17-18 ans en moi, qui fut profondément troublée par ce qu'on a fait vivre à ces singes au nom de la science, ne l'accepte pas.
Mais alors là pas du tout.
Il faudrait me prendre pour une belle idiote sans aucune empathie pour vous imaginer que je puisse croire une seule seconde qu'un oisillon, qu'on prive de la sécurité affective et du lien d'attachement procuré par un contact physique intime avec son parent, n'éprouve aucun manque pouvant avoir un impact sur son niveau de stress global, et sur la qualité de ses liens d'attachement et ses relations futurs.
Oui, scientifiquement parlant, il existe des variantes au niveau des techniques d'EAM qui auront plus d'impacts que d'autres.
Si je prends comme exemple mon Willow, il s'agit d'un petit conure à joues vertes élevé à la main, mais qui est demeuré collé presque en tout temps contre ses frères et sœurs. À défaut d'un lien d'attachement et de sécurité affective offerte par un parent, il aura eu le réconfort de la présence d'une fratrie.
Contrairement à un oisillon élevé seul dans son propre contenant (à l'image des orphelins qu'on nourrit et qu’on laisse seuls dans leur leurs lits individuels), Willow a pu bénéficier de certains contacts sociaux dans ses premières phases de sa vie.
Mais, depuis les études de Harlow, nos connaissances en psychologie du développement et des différents modèles d'attachement ont continué de s'approfondir et de se développer également.
Un EAM élevé avec sa fratrie risque probablement moins de souffrir de psychoses, de se montrer excessivement agressif avec des congénères de la même espèce, d'être imprégné aussi profondément à l'homme, d'abandonner ses propres bébés, ou bien de carrément les tuer s'il devient lui-même parent (ce qui est arrivé chez les macaques qui avaient été privés de contacts sociaux dans les expériences de Harlow... Ils avaient tendance à souffrir de psychose, être incapables de s'attacher et faire confiance à leurs congénères, et ceux qui arrivaient néanmoins à se reproduire avaient tendance à abandonner ou tuer leurs petits.).
S'il est rapidement introduit auprès d'un groupe de congénères sitôt sorti de chez l'éleveur, l'oiseau juvénile a plus de chances de pouvoir développer certaines habiletés sociales dites "normales", que s'il est maintenu en isolation avec son espèce d'imprégnation (l'humain).
Tout cela est vrai. Dans n'importe quelle sorte de traumatisme, il peut y avoir des facteurs aggravants, et d'autres facteurs atténuants (protecteurs).
Les troubles du développement et/ou des comportements n'ont pas que des causes uniques, mais généralement demeurent multifactorielles.
Et le stress lui-même est un phénomène dont l'impact est cumulatif. Ses effets tendent à se manifester lorsque l'animal devient incapable de s'adapter et de compenser pour les manques. Mais cela ne l'empêche pas d'avoir un impact physiologique mesurable sur le développement sain de l'animal, en particulier du point de vue de ses systèmes immunitaires, neurologiques, et endocriniens.
Par exemple, une étude de 2011 a démontré que la séparation maternelle, chez des singes élevés par leurs pairs (adultes de leur espèce leur servant de parents de substitution), semblait mener à une dysfonction de l'axe hypothalamique – pituitaire – surrénal, car les macaques élevés par leurs pairs avaient des taux significativement réduits de cortisol capillaire basal par rapport à ceux élevés par leur mère.
De plus, les niveaux de cortisol sanguin prélevés chez les macaques élevés par leurs pairs, lorsqu’exposés à des sources de stress aigu, démontraient un retard significatif de la réponse au stress.
Et, après 3 années où ces macaques étaient intégrés dans un environnement de vie sociale normale, chez ceux élevés par leurs pairs, il y avait une diminution des activités locomotrices et d’initiation d’aller s’asseoir parmi les autres, et une augmentation des activités stéréotypées vs les comportements observés chez les macaques élevés par leur propre mère.
Cela ne fait pas d’eux des membres dysfonctionnels au sein du groupe et incapables d’avoir des rapports sociaux aux apparences saines avec leurs congénères, ou bien des individus démontrant des troubles envahissants du comportement. Mais le fait d’être privé de leur propre mère a quand même un impact sur leur santé physiologique et leurs comportements.
Les toutes premières étapes de la vie de l'oisillon sont les fondations sur lesquelles tout le reste des étapes de son développement vont s'appuyer.
Dès que le cerveau d'un animal perçoit les premiers stimuli de la part de son environnement, il débute tout son processus d'apprentissage, et forme des connexions neuronales.
Par exemple :
Il apprend à associer certains sons aux cris de sa mère.
Il fait des associations entre le bruit des ailes de son père lors de son arrivée au nid, et l'arrivée prochaine de sa nourriture.
Plus tard, il apprendra que s'il cherche à mordre sa mère pour manger plus vite, il sera nourri en tout dernier.
Etc.
J'ai été, moi-même, un être humain ayant vécu certains manques dans les premières étapes de mon développement. J'ai développé d'excellentes habiletés sociales, étais première de classe, fais de la douance, arrive à tisser des liens affectifs sains avec mon entourage, et n'ai aucun problème à me faire des amis. Mais mes systèmes immunitaires et endocriniens sont totalement bousillés, mon cerveau est sévèrement hypoperfusé (on soupçonne que le phénomène a débuté dans l'enfance, et que les zones intactes ont réussi à prendre la relève pour les régions inflammées où le sang arrive à peine à se rendre), j'ai un diagnostic de TDAH complexe avec traits autistiques probables sous investigation, et j'ai une tendance à la trichotillomanie (que j'ai toujours réussi à camoufler dans l'enfance et l'adolescence sous mon épaisseur phénoménale de cheveux, et qui a évolué, à l’âge adulte, vers sa forme où les cheveux ne sont pas arrachés, mais plutôt grattés à la base du cuir chevelu) qui s'est largement corrigé depuis que je vis avec mon conjoint actuel.
Instinctivement, ce réflexe revient quand je suis confrontée à des situations qui se rapprochent trop de la source principale de stress chronique que j'ai vécue.
Si vous désirez que j'explique en quoi le picage psychogène soulage de façon très efficace le stress, et à quel point il s'agit d'un réflexe instinctif non réfléchi ayant une fonction bien précise du point de vue d'une "humaine qui fait du picage", il me fera plaisir de démystifier le phénomène pour vous.
Toute ma vie, j'ai été décrite comme l'enfant parfaite par mes professeurs et les connaissances de mon entourage. Mature, raisonnable, serviable, dévouée, etc.
Mes traumatismes ne dérangeaient pas les autres. Mon hypersensibilité à la critique et au rejet me rendait plus docile, et prête à faire plus d'efforts pour me faire aimer. Mon incapacité à reconnaître mes propres besoins et les prioriser faisaient en sorte que je disais plus difficilement "non", et donnais priorité aux besoins des autres.
À l'école, j'étais enjouée, créative, m'intéressais à tout ce que mes professeurs faisaient, avais un bon sens de l'humour, riais aux éclats, et étais globalement heureuse.
Une véritable enfant "épanouie".
Mon point est que l'impact du stress chronique et de certains traumatismes, chez un être vivant, ne se traduit pas toujours par des "problèmes de comportement" visibles qui dérangent les autres.
Ça pourrait se manifester par une plus grande tendance aux infections. Ou bien, encore, de la soumission envers les autres membres de son groupe social.
Et je trouve totalement insensé l'idée d'affirmer que "ce n'est pas grave de priver les oisillons de la sécurité affective de leurs parents pendant la toute première phase d'apprentissage et de développement de leur vie, parce qu'on peut par la suite préserver leurs habiletés sociales et atténuer l'impact de ces manques, en les exposants rapidement à des congénères."
Vous savez ce qu'elle a envie de vous dire, la fille traumatisée dont les habiletés sociales ont été préservées ?!
Bonne nouvelle! L'inhibition du "allez vous faire foutre!" a été globalement acquise (du moins, en mode direct! ), et la raison l'emporte généralement sur l'émotion. Ce qu'elle va vous dire, est alors ceci: toute blessure laisse ses cicatrices. L'animal qui devient un "membre fonctionnel de la société" demeurera toujours plus fragile que les autres d'un point de vue de sa constitution physique, et/ou du maintien de son équilibre psychologique et de ses relations. Il peut s'en sortir sans séquelles visibles, mais n'échappera jamais aux séquelles invisibles. Il pourra s'adapter et vivre heureux, mais demeurera plus à risque de développer des problèmes de santé chroniques, et/ou liés au stress toute sa vie. Ses défenses demeurent affaiblies.
Oui, ce qu'on
fait vivre à un perroquet privé de congénères, suite à son adoption, n'est pas mieux.
J'ai beau avoir agit en toute bonne foi, et selon les conseils d'éleveurs EAM de l'époque, reste que l'absence de congénères est une source de stress nuisant aux étapes subséquentes du développement de l'oiseau.
C'est l’une des plus belles conneries que j’ai faites dans ma vie, et j'ai causé des torts permanents à mon perroquet, même s'il est tellement adorable, curieux, explorateur, sociable, et enjoué, qu'il te pèterait des arcs-en-ciel!
J'aurais beau "prétendre que ce n'est pas grave" et "qu'il a l'air bien", la science est contre moi là-dessus, et j'aime mieux prendre mes responsabilités que de chercher à promouvoir une pratique nocive pour la santé de l’oiseau.
Mais l'une n'enraye pas l'autre.
L'absence de congénères ne rend pas ce qu'on fait subir à l'oiseau par la privation parentale et/ou sensorielle dans les premiers stades de son développement plus acceptable.
Ce sont deux pratiques dommageables, qui peuvent mener à des problèmes de comportement et/ou difficultés dans la gestion du stress.
Si vous êtes éleveurs EAM, vous n'êtes pas des monstres. Vous n'avez peut-être tout simplement pas conscience de l'importance des liens d'attachement parentaux sur le développement de l'animal, êtes du type à croire que "si je ne peux voir de problème franc de l'extérieur, alors tout va bien à l'intérieur", et/ou vous êtes humains, et avez de la difficulté à gérer la notion culpabilité, tout simplement.
Le plus tragique, c'est quand l'amour d'un animal nous mène à continuer à le faire souffrir, parce que l'idée même d'être en partie responsable de sa souffrance nous est trop insupportable, et incompatible avec qui nous sommes en tant que personne.
Chacun de nous a une part d'ombre. Chacun de nous fait des erreurs. Chacun de nous est vulnérable. Chacun de nous a des limites. Et ces limites peuvent aussi faire en sorte qu'on ne puisse pas offrir à celui qu'on aime tout ce qu'on souhaiterait lui donner.
Une bonne personne peut faire des choses terribles sans aucun désir de faire du mal.
La culpabilité ne sert à rien. On doit regarder la situation en face, prendre conscience des erreurs, essayer de voir lesquelles nous sommes aptes à corriger, et chercher à améliorer et faire avancer les choses à partir de là.
Et, en ce moment, ce que je sais, c'est que je suis incapable de tolérer l'idée que d'avoir torturé ces petits macaques n'ait rien appris au genre humain sur l'importance du rôle socio-affectif des parents sur le développement d'autres animaux à l'intelligence relationnelle aussi développée, telles que le perroquet.
Je ne tolère pas que l'homme se donne le monopole du syndrome de privation parentale et/ou sensorielle, en affirmant que cela ne s'applique qu'à lui, quand ce sont les animaux qui nous en ont fait (et continue encore à nous en faire) la démonstration.
Je suis navrée, mais ça c'est non!
Références:
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